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BEETHOVEN


Ici vient, — et j’en suis fâché — le sublime Adagio. Je ne crois pas qu’il appartienne au plan primitif du quatuor, qui était seulement en trois morceaux ; et c’est peut-être pour étoffer cette construction anormalement écourtée, dont l’éditeur avait témoigné quelque surprise insatisfaite, que Beethoven y a fait rentrer une Méditation, qui n’était pas conçue pour lui[1]. La vraie suite musicale et logique enchaînerait la fin du scherzo au finale de « la Décision difficile ». — Mais puisque Beethoven y a introduit cet Adagio, qui appartient à une autre sphère, inclinons-nous, et étudions-le ici !

Il se peut que les tristesses de cet été l’aient fait sourdre. Mais le grave flot qui s’épanche, lento assai, cantante è tranquillo, est d’une qualité bien différente de tous les beaux chants de la douleur qui sont sortis de l’âme meurtrie de Beethoven. Il atteint ici à une sérénité imposante. Un Cahier d’esquisses, que je n’ai pas eu sous les yeux, porte, dit-on, pour le lento, les mots : a Süsser Ruhegesang ou Friedengesang » (« Doux chant de repos, ou de paix »). Ils illuminent son magnanime calme de l’âme, Meeresstille — qui « sereine » la douleur.

Dans la paix de l’atmosphère presque immobile, qu’établissent, en quelques mesures d’introduction et d’accompagnement, les tenues sur l’accord fondamental, se déroule solto voce la belle ligne continue de la mélodie, harmonieuse¬

  1. Il y aurait aussi quelque vraisemblance à imaginer que la brièveté inaccoutumée du quatuor avait été causée par les tragiques événements, qui avaient découragé Beethoven de donner à son plan humoristique un plus large développement.