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BEETHOVEN

jusqu’à ce qu’ils buttent de nouveau contre le mi bémol du da capo.

À la reprise, le premier violon, maître du chœur, déroule un scherzo agile et bondissant, où nous saluons une vieille connaissance des grandes symphonies. Mais attention ! il nous trompe sur ses intentions. Il module allègrement du fa majeur au la majeur, où il s’essaie d’abord une première fois, puis en sol majeur, pour revenir au la majeur ; et là, soudain, dévoile son jeu. Jusqu’alors, il n’y a eu, dans tout le morceau, de forte que par accents brefs, suivis de sempre p. ; et même les envolées et les grands bonds du premier violon (de deux octaves et une septième, à la mes. 103) n’ont pu déclencher la pleine force.

Brusquement, mes. 143. ff., c’est une furie. Des bonds sauvages du premier violon, sur un roulement continu ff. de cinquante mesures[1], aux trois autres instruments. Les bonds de dizièmes, de douzièmes, de deux octaves sont fouettés de petites notes, comme des claquements de castagnettes. C’est un engourdissement dans la frénésie. Plus de signes de force marqués, le tourbillon est lancé, mécanique. Plus de raisons pour s’arrêter. Walter Riezler, très justement, évoque les danses orgiaques des peuples primitifs (« ein ekstatisches Stampfen wie in gewissen orgiastischen Tänzen der Naturvölker. »). C’est une des pages les plus extraordinaires de Beethoven ; elle le trahit, en plein accès de frénésie. Il est livré aux forces sauvages de la nature. Il ne les craint pas, il est possédé ; mais il les possède. Il est « die gestaltende Kraft der Natur selber »[2]. (« Il est la force cons-

  1. 47 mesures, sans changer une note.
  2. Selon le beau mot, repris par W. Riezler, et qui termine son livre sur Beethoven