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BEETHOVEN

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’en néglige pas ses affaires, — comme il eût fait, dans d’autres chagrins[1]. Ses lettres à l’ami Holz, lui-même tout absorbé par ses amours, sont marqués de très peu d’émotion ; elles badinent, sur un ton presque bouffe. Dans l’une, où il dit que l’état de Charles s’améliore, la phrase se poursuit en parlant d’une aimable fille, qui, cette après-midi, viendra chanter chez lui. À l’éditeur Tobias Haslinger, ses billets, du même temps, sont plus facétieux encore. Et nous avons le récit d’une visite que lui fit, à la fin d’août, le Dr Spiker, directeur de la Bibliothèque royale à Berlin, venu pour prendre la copie autographe de la Neuvième Symphonie que Beethoven offrait au roi de Prusse[2]. Rien, absolument rien, n’y donnerait à penser que Beethoven sortait à peine d’une catastrophe morale. Tout au contraire ! Jamais il ne s’était montré plus joyeux.

— « Il était exceptionnellement gai, il éclatait de rire aux bons mots, avec la bonne humeur d’un homme sans malice, et qui se fie à tout le monde. Jamais on ne l’aurait pu attendre de lui, que la renommée générale dépeint comme sombre et farouche… Son visage était jovial… Il manifestait une extra-

  1. Il y a même une lettre du 1er août 1826, bien gênante, où il écrit à un régisseur du théâtre de Mannheim, au sujet de représentations projetées des Ruines d’Athènes, sur le ton le plus calme, et même en plaisantant. Rien ne ferait supposer qu’il vient de subir un tel ébranlement. — C’est une raison, pour certains biographes, de reporter la date du suicide, au samedi 6 août, — ce qui paraît peu vraisemblable. Plus admissible serait la possibilité que Beethoven eût écrit « août », au lieu de » septembre ». — Quoi qu’il en soit, les lettres et les démarches du mois d’août montrent qu’il était redevenu maître de soi.
  2. Cette copie, sa révision, la rédaction de sa lettre au roi, occupèrent Beethoven en ces semaines, sans que son attention fût distraite par la pensée du neveu.