Un pareil coup, et cette haine, cette rancune insoupçonnée, accablent Beethoven. Il est brisé. Schindler dit que, du jour au lendemain, il paraissait un vieillard de soixante-dix ans, sans volonté, livré au moindre souffle. Mais quand Madame de Breuning le rencontre dans la rue, dans un état d’égarement, déjà la révolte de la fierté a pris le pas sur la blessure du cœur. Il dit : — « Il vit encore ; il y a espoir de le sauver… Mais la honte, dont il m’a couvert ! Moi qui l’ai tant aimé ! » Les amis sont tous d’accord. Ils lui conseillent de déposer la tutelle, de se débarrasser de l’ingrat : — « Pourquoi voulez-vous plus longtemps le lier ? » — Charles veut s’engager dans l’armée. L’état militaire est à Beethoven plus odieux encore que la profession commerciale. On dirait que le neveu en ait fait choix, par défi, afin de blesser l’oncle davantage. Holz et Breuning le prennent au mot. Bon débarras !… Holz dit : — « Dans l’état militaire, il sera tenu sous la plus stricte discipline ». Et Breuning : — « Le militaire est la meilleure école, pour qui ne peut supporter la liberté ». — Mais le consentement de Beethoven est long à arracher. Après les hauts espoirs qu’il avait fondés sur son fils, tomber si bas ! On discute longuement. Il est encore question d’une place dans un comptoir, au loin, à Trieste, Milan, Hambourg… Mais les dangers d’inconduite ne se renouvelleront-ils pas ?[1] La voix la plus autorisée l’emporte : celle du sage ami, Breuning, qui, par sa charge de Hofkriegsrath, a de hautes relations dans l’armée. Il prend l’affaire en main, il force la volonté de Beethoven. Une lettre à Holz, du 9 septembre[2], montre son