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LES DERNIERS QUATUORS

« À quoi vous servirait-il de me retenir ? Si je ne me libère pas aujourd’hui, ce sera une autre fois, et cela se fera. » — Après avoir quitté Holz, il a vendu sa montre, acheté deux autres pistolets, couru à Baden, dans l’Helenenthal, ce lieu cher aux promenades de Beethoven ; par je ne sais quel romantisme de jeune révolté Byronien, qui jette son défi à l’univers, il monte, la nuit, aux ruines de Rauhenstein, et là, il s’applique les deux pistolets sur les tempes, et tire : l’un des deux coups rate, l’autre fait entrer une balle dans le front, près de la tempe gauche, mais la blessure n’est pas profonde. Il est tombé. Un charretier, qui passe, le ramasse, et, sur sa demande, le rapporte à Vienne, chez sa mère. — C’est là que IIolz et Beethoven, exténué, à bout de forces, le retrouveront, le lendemain. Charles a toute sa connaissance ; mais il serre les dents, il s’enferme dans un silence farouche, malgré les patelinages de sa mère, qui l’engage à profiter de la faiblesse de son oncle, pour lui demander tout ce qu’il voudra. Il finit pourtant par écrire : « — « Maintenant, c’est arrivé. (Jetzt ist’s geschehen)… Ne m’assomme plus de tes reproches et de tes questions ! C’est du passé… » — Beethoven s’en va. Devant Holz, Charles ne dissimule plus sa rancune contre l’oncle, il dit : — « Si seulement on pouvait ne plus le voir jamais !… » (Wenn er sich nur gar nicht mehr sehen liesse !…) Et Holz va le répéter à Beethoven. Cette rage muette persiste, pendant des jours. Charles menace d’arracher son bandage, si on lui parle encore de Beethoven. Il dit : — « Assez de ce stupide bavardage ! » À la police, qui s’empare de l’affaire, (car le suicide est considéré comme un crime contre la religion et contre l’État), il continuera de répéter haineusement : — « Il m’a trop embêté (sekirt), c’est pourquoi je me suis tué. »