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LES DERNIERS QUATUORS

La troisième (mes. 98-129) est intitulée : andante moderato « lusinghiero ; et cette épithète de lusinghiero (flatteur ou plaisantant) est supprimée de beaucoup d’éditions pour piano, — non par oubli, mais parce qu’elle contrarie le sens qu’on veut prêter au morceau. Il est certain que, si l’on n’y prend garde, si l’on s’abandonne à la lecture toute nue, sans l’avertissement de l’auteur, il y a chance que l’on ne hume sous ces phrases qui se répètent, en imitations canoniques, comme à regret, et s’attardant, pourrait-on dire, s’enchevêtrant les jambes, un arrière-fond de mélancolie ; et la figure de trille hoquetant, sur laquelle est bâti le développement en canon n’est pas pour contrarier cette impression. Qui a raison ? Beethoven, sans doute : il sait ce qu’il veut ; et il a voulu badiner avec l’émotion de son souvenir, très atténué. — Mais a-t-on tort de trouver que le badinage est un peu crispé, et que le sourire accuse les rides ? Il n’est pas si facile à un vieux homme d’effacer de son visage la trace du pouce de la mélancolie ! Ce n’est pas la seule fois — (nous l’avons déjà noté, dans le XIIIe quatuor) — que la volonté consciente de l’artiste n’est pas entièrement d’accord avec son subconscient. Beethoven joue, mais le souci veille derrière la porte.

La quatrième Variation (mes. 130-161) rend son libre cours à l’émotion. La tendresse amoureuse coule à pleins bords. La mélodie chante dans le plus haut registre des quatre instruments, (le violoncelle se fait ténor). Le balancement harmonieux en 6/8 est coupé de pizzicati, dont l’aérienne délicatesse est étrangement interprétée par la plupart des commentateurs[1]. Le sinueux dessin, comme une caresse, repris à tour

  1. « qu’interrompent sauvagement, comme des coups de timbales », dit