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BEETHOVEN

n’est pourtant heureux qu’une fois dans sa aie, et c’est aux jours joyeux de sa jeunesse… »

Et la chère Lorchen, qu’on a aimée, et qui vous écrit (à la suite de la lettre de son mari) :

— « Depuis si longtemps cher Beethoven ! n’avez-vous aucun désir de revoir le Rhin et votre pays natal ? Vous nous serez, en tout temps, à toute heure, l’hôte le plus bienvenu, et vous nous ferez la plus grande joie… »

Pour l’attendrir, elle lui fait le portrait d’une autre Lorchen, qui lui rappelle les traits de celle d’antan, — sa propre fillette, à qui elle a confié tous les secrets de la joyeuse jeunesse, et qui s’applique (sans beaucoup de dons, mais à force de zèle) à jouer les premières sonates de Beethoven et ses variations les plus simplettes. (Tous ces braves gens, qui ont le culte de Beethoven, ne vont pas plus loin que ses œuvres de jeunesse ; Wegeler, sur son violoncelle, faute de doigts, joue et rejoue, « avec une incroyable patience », au moins les thèmes des variations ; et cette ingénuité qui fait sourire est rafraîchissante…) — « Ainsi, cher Beethoven, vous voyez de quel souvenir durable vous vivez chez nous… Dites-nous pourtant une fois que cela a quelque prix pour vous, et que nous ne sommes pas tout à fait oubliés ! »

Et cette autre source de joie enfin, la plus ruisselante pour un vrai artiste créateur : — le vieux fleuve, penchant son urne, la voit déborder d’inspirations. Le seul Cahier d’Esquisses italien, où il note, au fur et à mesure, son travail pour les quatuors op. 130 et 132, est bondé d’idées musicales étrangères à ces œuvres, et qui viennent en interrompre le déroulement, comme des jets de l’esprit et du cœur[1]. On est

  1. Cf. Rivista music. ital, anno XII, fasc. 4, 1905.