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BEETHOVEN

sa voix forte, son sans-gêne, le faisaient regarder comme un toqué (verrückt), et les passants riaient de lui… On se retournait sur son passage et les gamins, à ses trousses, poussaient des cris. Aussi, son neveu Charles avait-il honte de sortir avec lui, et il le lui dit, avec des reproches. Moi, au contraire, j’étais fier de me faire voir avec cet homme illustre… »

Il venait souvent chez les Breuning ; et rien ne trahissait en lui, au regard éveillé du petit observateur, accablement et mélancolie. Il se montrait, en ces années qui allaient être ses dernières, extrêmement vif et plein d’entrain. Même son infirmité qui le murait[1] ne jetait plus d’ombre sur sa vie ; il s’y était accoutumé. Gerhard raconte qu’une fois, à table, une de ses sœurs ayant poussé un cri perçant, Beethoven fut si heureux de l’avoir entendu qu’il éclata de rire, à pleine gorge, en laissant voir toutes ses dents, d’une blancheur éclatante.

Il était en bonne forme, en dépit d’une reprise de son catarrhe, en octobre 1825. Il avait fait la paix avec son neveu ; son pouvoir d’illusions du cœur, sans cesse renaissantes après tous les démentis de l’expérience, lui faisait croire à la sincérité du repentir et du retour de l’enfant prodigue[2].

  1. L’enfant curieux, qui voulait voir jusqu’où allait la surdité, mit les mains, doucement d’abord, sur le piano — puis un peu plus fort, — plus fort encore, — enfin de toutes ses forces. Beethoven, absorbé dans son travail, n’entendit absolument rien.
  2. On a lu, plus haut les deux lettres du 5 octobre au neveu Charles. La dernière des lettres passionnées que les amis ont conservée est du 17 octobre. Le neveu était venu, un dimanche, mais trop tard, et il était reparti trop tôt. Beethoven en avait eu un peu d’humeur. Il s’en accuse, il accuse ses idées noires, injustifiées. C’est lui qui promet de se coiriger. Il signe : « Dein dich am sich driickender liebevoller Vater. » (« ton père qui t’aime et te presse sur son sein ! »)