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LES DERNIERS QUATUORS

chez nous ; tout de suite il demanda que ma mère voulût bien mettre de l’ordre dans son ménage… Mon père, qui pouvait rarement prendre la parole, s’adressait à lui d’une voix singulièrement forte, en articulant chaque mot et s’accompagnant de vives gesticulations… Mon souhait, si souvent exprimé à mes parents, de faire la connaissance de Beethoven était enfin comblé ; et je comptais avec impatience les jours qui me séparaient de l’intimité désirée avec l’ami de jeunesse de mon père, qui m’en avait souvent parlé… »

Cette intimité se réalisa ; et l’enfant nous en a conservé l’écho dans ses charmants Souvenirs : « Aus dem Schwarzspanierhaus ». Le vieux homme s’était pris aussitôt d’afîection pour l’enfant, qui s’attachait à ses pas, comme un jeune chien gambadant. Il s’intéressait à son éducation, à son jeu de piano. Il le laissait venir et fureter chez lui, même pendant qu’il s’absorbait dans la composition, et il l’emmenait dans ses promenades.

« Le laisser-aller dans le costume, qui le caractérisait, faisait de son apparition dans la rue un effet de surprise extraordinaire[1]. Presque toujours absorbé dans ses pensées, et les ruminant, il gesticulait, quand il allait seul. S’il marchait avec quelqu’un, il parlait à tue-tête, et avec une grande volubilité ; mais comme son interlocuteur était toujours obligé d’écrire sur son carnet de poche la réponse, il s’arrêtait fréquemment dans sa marche, ce qui ajoutait à la singularité, d’autant plus que les réponses s’exprimaient aussi par signes. Ses gesticulations,

  1. Gerhard en a brossé un vil croquis, rieur, très pittoresque ; il serait, d placé de le reproduire ici ; mais je compte bien que tous les amis Ce Beethoven iront le chercher dans le précieux petit livre de Souvenirs. La description s’accorde avec le dessin à la plume de Lyser, dont Gerhard atteste l’exactitude.