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LES DERNIERS QUATUORS

Il y a là, pour le critique ou l’historien qui cherche à rendre compte de l’œuvre, une tentation et un danger : se substituer à l’esprit créateur et lui prêter des secrets qu’il n’a point dits, et qui, il faut l’avouer, sont bien cachés. Car le quatuor op. 130 est loin d’offrir l’unité de substance, la fixité presque obsédante de l’idée, qui caractérise l’op. 133 et le rend (relativement) facile à expliquer. L’op. 130 présente en ses six morceaux une bigarrure de sentiments, une diversité de texture, que l’on a peine à ramener à une quelconque continuité. Et d’autre part, il est impossible d’imaginer, par tout ce qu’on sait de la méthode de travail de Beethoven et de son acharnement à l’unité, qu’il ait voulu s’en relâcher dans une sorte de « Suite » décousue, où il aurait jeté ses inspirations et ses caprices, sans autre loi que celle de la variété et des contrastes extérieurs. — Il faut donc que l’unité cachée soit dans l’arrière-pensée du Tondichter (poète en musique), plus que dans la substance même de l’œuvre : (ce qui serait assez exceptionnel chez Beethoven, où la substance et la pensée sont, d’ordinaire, un seul corps). — À rechercher cette arrière-pensée, le critique a beau jeu !

Voici deux des meilleurs :

Paul Bekher dit que « l’œuvre n’apparaît comme unité artistique que par le final-fugue, dont la forme colossale et le vaste champ d’idées embrassent en soi toutes les particularités précédentes, et éclairent ainsi toute l’œuvre, à la fin, comme un reflet de tableaux de vie variés, — manifestations différenciées d’une volonté créatrice, qui, en conclusion, se dévoile elle-même dans sa majesté élémentaire ».

Ce serait donc un Prospero, qui évoque les formes diverses de la vie, joies et douleurs, et se manifeste, à la fin, dans toute sa puissance.