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LES DERNIERS QUATUORS

pleine de génie. Il était surexcité, à un haut degré, quand il finit. Tous les auditeurs étaient ravis de leur chance exceptionnelle. Après le quatuor, l’émotion et l’enthousiasme furent extrêmes. Les deux femmes se montraient bouleversées. « La Cibbini, écrit Schuppanzigh, était hors d’elle (ganz weg). » Et le neveu : « Après le quatuor, elle vint à moi, comme une bacchante. » On plaisantait de ses transports. Schuppanzigh écrit : — « Elle n’a pas détourné les yeux, un seul instant, de Beethoven… Pourquoi pas ? Elle n’est pas mal… » Et les bonnes langues : — « On m’a dit que vous auriez songé à épouser la Cibbini, est-ce vrai ? » (Cahier de conversations). On profita de l’émotion de Mlle Eskelès, pour tâcher de placer

Le neveu, qui recueille les opinions, pour les transmettre à Beethoven, écrit : — « Tout le monde était enchanté… Es ist doch in allen (Sätzen) ein eigener Geist ; nun sieht man, wie du immer weiter fortschreitest… » (« Il y a vraiment dans toute l’œuvre un esprit à part ; chacun voit maintenant, comme tu es toujours en progrès… »)

Le quatuor fut redonné, en cercle choisi, le 26 septembre : (Holz tenait le premier violon, en l’absence de Schuppanzigh) — puis, en public, pour la première fois, le 6 novembre, par le violoncelliste Lincke. La salle était pleine, il n’y avait pas une place libre, et le succès fut éclatant. La beauté de l’œuvre conquit la foule. On s’émerveillait surtout du chant de grâces à la Divinité. — Quinze jours après, le 20 novembre, Schuppanzigh en redonna une autre audition publique. — La victoire était gagnée. Et quelle victoire ! Celle de l’œuvre la plus ardue peut-être et la plus profonde de Beethoven.