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LES DERNIERS QUATUORS

et l’Evangile[1]. Mais, en réalité, c’est beaucoup moins à la musique grecque qu’aux modes d’église, aux « Cantiques ecclésiastiques », et à son grand modèle dans l’art religieux, Palestrina, que Beethoven se rattache dans ce choral[2].

Dans le même temps que son esprit s’assure dans la forme ferme du choral, il en reçoit comme un réveil miraculeux de

  1. C’est chez lui un vieux projet, bien antérieur à la maladie. Sur une feuille de la deuxième moitié de 1818, il a écrit :

    « Adagio Cantique

    Frommer Gesang in einer Sinfonie in den alten Tonarten — Herr Gott dich loben wir — alleluja — entweder für sich allein oder als Einleitung in eine Fuge… im Adagio Text griechischer Mithos Cantique Eclesiastiqueim Allegro Feier des Bachus. »

    (Cf. Nottebohm, II, p. 163).

    « Chant pieux, dans une symphonie en les anciens modes. — Seigneur Dieu, nous te célébrons ! — alléluia ! — ou bien (à part), pour soi seul, ou comme introduction dans une fugue… Dans l’Adagio, un texte, Mythe grec, Cantique ecclésiastique — dans l’Allegro, fête de Bacchus ».

    Cf. lettre à l’archiduc Rodolphe, tandis qu’il explore dans sa Bibliothèque les manuscrits anciens de musique religieuse, — et ses réflexions à cet égard.

  2. Walter Riezler a écrit des pages intéressantes, mais, à mon sens, un peu excessives, sur la tendance obscure, profonde de Beethoven, dans son dernier style, à se dégager des chaînes de la tonalité classique, à s’affranchir du poids de ces cadences trop attendues, qui ramènent lourdement le vol de l’esprit au sol. Et il en relève des essais, dès les deux sonates de violoncelle, op. 102, de 1815, —sans parler de l’Incarnatus fameux de la Messe en ré et de l’impressionnante méditation religieuse, dans le finale choral de la Neuvième Symphonie. Il n’y a point de doute que la vaste curiosité de Beethoven, très attirée par les « alten Tonarten » (ainsi que, d’ailleurs, par les modes des vieux chants populaires), dont ses lectures dans la bibliothèque de son archiduc lui avaient révélé les trésors enfouis, eût certainement fait emploi de ces richesses, dans ses créations à venir, si sa vie avait eu son prolongement normal. Mais jusqu’à sa mort, ce n’est encore qu’un avant-goût d’une musique plus illimitée ; et, à part quelques rares et brèves échappées, il reste ancré dans son royaume de la tonalité classique.