avec soin, et joué deux fois. Beethoven dit : « — C’est bon. Il faut l’entendre souvent ! » (« man muss das ôfter horen »). L’orgueil du lion se réveille. Et il demande : — « Et comment vous plaît-il ? » Rellstab est bien embarrassé, car il n’y a pas vu grand chose ; il se rattrape sur des mots vagues d’émotion : — « ich war im innersten tief und heilig erschüttert » (« j’étais, au plus intime, profondément et saintement remué »)… Beethoven se tait. Est-il bien convaincu de l’émotion de son jeune visiteur ? Veut-il y croire ? Il se lève et va contre la fenêtre, où il reste debout, rêvant, le dos tourné à Rellstab, près de son piano, sur lequel Rellstab brûle de lui voir poser les mains. Et, par mégarde, il les appuiera, un moment ; mais il n’entend pas l’accord qui gémit sous la pression… Rellstab repart, cette seconde fois, sans avoir pressenti le mystérieux travail de résurrection qui s’opère en l’âme. Il pense qu’« à moins d’un miracle, Beethoven ne retrouvera plus sa force créatrice ». Il ne se doute pas que le miracle est là, et que l’âme sort du tombeau[1]. À Vienne, nul ne s’en doute davantage. Grillparzer, lui aussi « un demi-malade », confirme Rellstab dans sa conviction attristée « que le noble esprit est trop affaibli par le lourd poids qu’il porte depuis de longues années », pour pouvoir jamais reprendre sa création. — Il est vrai que Grillparzer, comme Rellstab, songent avant tout à leurs poèmes d’opéras. Et il est en effet fort peu probable que Beethoven reprenne goût à les composer.
Dans la troisième et dernière visite de Rellstab, où
- ↑ Ce n’est pas seulement dans le Dankgesang qu’elle s’exprime. Dans le même temps, sur les mêmes pages où se trouvent les premières esquisses de l’adagio, Beethoven conçoit et note l’introduction « grave e pesante » du quatuor suivant op. 130 (p. 11 du Cahier italien). Et c’est là, plus encore que le Dankgesang, la dalle qui se lève du tombeau.