Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée
80
GŒTHE ET BEETHOVEN

Goethe écrit à Zelter (2 septembre 1812) :

— « J’ai appris à connaître Beethoven. Son talent m’a jeté dans Vétonnement. Seulement, il est, par malheur, une personnalité tout à fait effrénée (ungebândigte). Il n’a sans doute pas tort, s’il trouve le monde détestable ; mais il ne le rend pas ainsi, vraiment, plus riche en jouissances, pour lui, ni pour les autres. Il est fort à excuser et à plaindre, car son ouïe l’abandonne : ce qui nuit peut-être moins à la partie musica e de son être qu’à la partie sociale. Lui, qui est déjà laconique, de nature, le devient doublement, maintenant, par le fait de sa surdité. »

Le ton est très mesuré. C’était le moins que Goethe pût dire contre Beethoven ; et il faut lui savoir gré de cet esprit de justice 1. Que l’on relève cet aveu :

« Il trouve le monde détestable : il n’a pas tort, sans doute... »

Ce pessimisme, toujours soigneusement bâillonné ! ... Qui a su lire en Goethe ? Sous le laurier de Delphes dont on l’a étouffé, sous ce masque imposé d’Apollon morose, qui a vu les plis de la narine dégoûtée, les déceptions marquées et le sérieux mortel, et toutes les faiblesses qui se cachent, au fond ? Cet homme qui fuit l’émotion, i.i. Et quelle exacte intelligence, chez cet homme qui n’était pas musicien, de la puissance musicale de Beethoven, échappant aux ravages de la surdité ! Il a parfaitement vu que l’homme •eul, non l’artiste, était frappé.