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GŒTHE ET BEETHOVEN

fut Goethe. Il tendit la main à Beethoven. Il fut cordial autant que le permettait sa nature, toujours un peu guindée, en dehors de son art et de la stricte intimité. Beethoven ne le déçut point : l’impression du lendemain ne contredit point la première. Mais celle de Beethoven ne fut point, semble-t-il, aussi satisfaisante. Ce poète, dont il rêvait depuis l’enfance, comme d’un aigle aux grandes ailes qui vole contre le vent, lui apparut un Geheimrat, très soucieux de l’étiquette et respectueux du rang, un homme de la société, très poli, collet-monté, qui se surveillait toujours, qui jamais ne s’épanchait, et qui, après l’avoir entendu improviser au piano (et l’on sait quels torrents étaient les improvisations de Beethoven !) lui dit, courtoisement, qu’il avait joué « d’une façon charmante... » « Er spielte kostlich 1. » Sans doute, Goethe, bien embarrassé pour apprécier la musique, complimenta le musicien sur l’agilité de ses doigts et sur son jeu « perlé » ; et il prenait des airs émus et pénétrés. Mais du jugement esthétique, du jugement de raison, que Beethoven attendait d’un Goethe, rien ne sortit, parce qu’au fond, Goethe n’en pensait rien : il ne comprenait pas... Beethoven éclata... Bettine nous raconte la scène, à laquelle elle 1. Journal do Goethe.