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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

commença par séparer les trois sœurs qu’unissait une affection passionnée. Après le mariage de Joséphine, Thérèse resta isolée dans le château de sa mère. Elle avait une sensibilité très vive, et un excès d’imagination, qu’alimentaient les lectures et les rêves. C’était une grande songeuse ; son existence retirée et oisive, alternant avec des périodes de fêtes mondaines et vides, pendant plusieurs années, encouragea, en même temps que cette fièvre d’esprit, une tendance à fuir toute activité régulière et même tout effort physique. Sa santé en souffrit, d’autant plus que cette tendance était contraire à sa vraie nature. On le vit bien, par la suite : l’héroïsme de l’action était sa température normale. Ce besoin refoulé risquait de fausser tout son être. Dans l’exaltation de ce somnambulisme, où elle se complaisait, elle prit (c’est elle qui le dit) une trop haute idée de soi, et des autres un dédain offensant. Cette attitude n’était point faite pour lui concilier les sympathies ; et son caractère en conçut de l’amertume. Elle se montrait autoritaire, d’une franchise rude et cassante 1, qui la mettait en opposition avec toute sa famille, même avec Joséphine, qu’elle adorait. — Et c’est ici que se révèle, sous la 11. Des manières brusques, le ton rude... « meinen rauhen Ton »..., comme elle s’en accuse plus tard. La jeunesse passée dans la Puszla sauvage qui lui avait donné des façons cavalières, une impétuosité de parole, une violence dans la discussion, qu’il lui fallut difficilement réprimer, et qui lui attira souvent le blâme dédaigneux de l’aristocratique Joséphine. On la voit, dans le Journal, aussi prompte à se jeter au cou des gens qu’à s’emporter contre eux, et dans l’un comme dans l’autre cas, à tout livrer de soi, de ses secrets les plus chers, quitte à le regretter amèrement, un moment après, — et à recommencer...