Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/157

Cette page n’a pas encore été corrigée
128
BEETHOVEN

Dieu me garde de dire : supérieurs ! Ce sont deux mondes enchantés... Dans l’adagio de la première Sonate de Beethoven (op. 2 n° 1), la grâce de l’expression est en partie empruntée ; mais la sensibilité est plus simple, moins parée, plus proche de la nature ; l’esprit du jeune artiste n’a point toutes les nuances de celui, mûri et raffiné, de Mozart ; s’il est multiple, comme lui, il n’est pas, de loin, aussi complexe ; les éléments divers s’opposent nettement, par contrastes ; ils ne coulent pas de l’un à l’autre, par teintes dégradées ; la ligne, moins infléchie, tracée sans repentirs, se soucie moins de plaire que de dire exactement l’émotion. Et cette émotion n’cst jamais un jeu. L’homme est de l’espèce, si rare, chez les artistes, — (et que ceux d’aujourd’hui seraient disposés à traiter d’« inesthète ») •— qui croit à tout ce qu’il dit, et qui, s’il n’y croyait point, cesserait d’écrire. Artiste souverain dans le royaume de sa personnalité, de ce qu’il aime et hait, de ses joies et de ses douleurs, dont il fait un univers, il n’eût jamais admis le dilettantisme esthétique, que d’aucuns nomment objectivisme, d’autres syncrétisme qui aspire à tout goûter, sans s’attacher à rien, et dont le moi, incertain, inquiet, glissant entre les doigts, circule comme l’anguille de la mer des Sargasses. Il est Beethoven. Il est un homme. Là est sa force, dans son temps, — le temps que scelle le nom de Napoléon. Là, sa faiblesse, aux temps où « Kaa » change de peau... — Vers 1800, l’empire de l’art, comme celui de l’action, appartient au fort, non au subtil, — à celui qui ose être celui qu’il est et l’affirmer impérieusement. Le monde le suit. La voix de Beethoven parle pour lui. Il est l’empereur de l’émotion.