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LES IDOLES

«… La guerre les fera participer, sous la forme de cette organisation, à notre civilisation plus élevée. »

Là-dessus, le chimiste-philosophe, qui est aussi politique et stratège à ses heures, brosse à grands traits un tableau des victoires de l’Allemagne et de l’Europe remaniée : États-Unis d’Europe sous la houlette du Kaiser cuirassé ; l’Angleterre écrasée, la France désarmée, la Russie dépecée… (Son collègue Haeckel complète ce riant exposé, en partageant la Belgique, l’Empire Britannique et la France du Nord : — ainsi bavardait Perrette, avant son pot cassé). Ni Haeckel, ni Ostwald ne nous disent (c’est dommage) si leur plan comportait, pour l’établissement de « leur civilisation plus élevée », la ruine des halles d’Ypres, de la bibliothèque de Louvain et de la cathédrale de Reims. Retenons seulement, après toutes ces conquêtes, partages, dévastations, ce mot prodigieux, dont certainement Ostwald n’a pas senti la sinistre bouffonnerie digne d’un Molière :

« Vous savez que je suis un pacifiste… »

Si exaltés que soient les grands pontifes d’un culte, l’expression de leur foi conserve encore une certaine retenue diplomatique, dont ne s’inquiète plus le reste du clergé. Ainsi, des Kulturmenschen. Le zèle des lévites doit plus d’une fois gêner, par sa franchise intempérante, Moïse et Aaron, — Haeckel et Ostwald.