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LETTRE À CEUX QUI M’ACCUSENT

Ce qu’on sait un peu mieux en France, c’est comment cette nation allemande, enveloppée dans la nasse des mensonges de son gouvernement, s’abandonnant à lui avec un loyalisme aveugle et entêté, en est arrivée à la croyance profonde qu’elle était attaquée, traquée par l’envie du monde, et qu’il lui fallait se défendre à tout prix, ou mourir. Il est dans les traditions chevaleresques de la France de rendre hommage au courage d’un adversaire. On doit à celui-ci de reconnaître qu’à défaut d’autres vertus l’esprit de sacrifice est, chez lui, presque illimité. Ce serait une grave faute de le pousser à bout. Au lieu d’acculer à la grandeur d’une défense désespérée ce peuple aveuglé, tachez de lui ouvrir les yeux. Ce n’est pas impossible. Un patriote alsacien, qu’on ne peut taxer d’indulgence pour l’Allemagne, le Dr  Bucher, de Strasbourg, me disait naguère que si l’Allemand est plein de préjugés orgueilleux, soigneusement cultivés par ses éducateurs, du moins on a toujours cette ressource avec lui de pouvoir discuter et que son esprit docile est accessible aux arguments. Je vous en donnerai un exemple : l’évolution secrète que je vois se produire dans la pensée de certains Allemands. Nombre de lettres allemandes que j’ai lues depuis un mois commencent à émettre des doutes angoissés sur la légitimité des actes accomplis par l’Allemagne en Belgique. J’ai vu ces inquiétudes se former peu