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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

peut-être. De cette Suisse française, si passionnée pour la France, si frémissante de ses sympathies pour elle et du devoir de les refréner, j’ai pu, depuis trois mois, par la lecture des lettres, des brochures d’Allemagne, scruter attentivement la conscience de la nation allemande. Et j’ai pu me rendre compte ainsi de bien des faits qui échappent à la plupart des Français : — le premier, le plus frappant, le plus inattendu, c’est qu’il n’y a dans l’ensemble de l’Allemagne aucune haine réelle contre la France ; (toute la haine est tournée contre l’Angleterre). Le pathétique même de la situation est que jamais l’esprit français n’avait exercé sur l’Allemagne une telle attraction que depuis deux ou trois ans ; on commençait à découvrir la vraie France, la France du travail et de la foi ; les nouvelles générations allemandes, les jeunes classes que l’on vient de mener à l’abattoir d’Ypres et de Dixmude comptaient les esprits les plus purs, les plus idéalistes, les plus épris du rêve de fraternité universelle. Dirai-je que pour beaucoup d’entre eux la guerre a été un déchirement, « une horreur, un échec, un renoncement à tout idéal, une abdication de l’esprit, » comme l’écrivait l’un d’eux, à la veille de mourir ? Dirai-je que la mort de Péguy a été un deuil pour beaucoup de jeunes Allemands ? On ne le croira pas. Il le faudra bien pourtant, le jour où je publierai les documents amassés.