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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

elle est une infection produite par ses blessures, et elle fait autant de mal à celui qu’elle possède qu’à celui qu’elle poursuit.

Ce poison, je le vois avec inquiétude se propager, à l’heure actuelle. Les cruautés et les ravages commis par des armées allemandes ont fait naître chez les populations victimes un désir de représailles, qui se conçoit, mais que la presse n’a pas pour tâche d’exaspérer : car ce désir risquerait de conduire à de dangereuses injustices, dangereuses non seulement pour le vaincu, mais surtout pour le vainqueur.

La France a, dans cette guerre, la chance d’avoir le plus beau rôle, et la chance plus rare encore que l’univers l’ait reconnu. Un Allemand m’écrivait, il y a quelques semaines : « La France a obtenu, dans cette guerre, un prodigieux triomphe moral : les sympathies du monde entier se sont ruées vers elle ; et — le plus extraordinaire — l’Allemagne elle-même a un secret penchant pour l’adversaire. » Ce triomphe moral, nous devons tous vouloir qu’elle le garde jusqu’au bout, qu’elle reste, jusqu’au bout, juste, lucide et humaine. Je n’ai jamais pu distinguer la cause de la France de celle de l’humanité. C’est parce que je suis Français que je laisse à nos ennemis prussiens la devise : « Oderint, dum metuant. » Je veux que la France soit aimée, je veux qu’elle soit victorieuse non seulement par la force, non seulement par le droit (ce serait