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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

dessus de soixante ; les rapatriements ont commencé, le 23 octobre, par l’entremise du bureau de Berne, créé par le Conseil fédéral. Reste, sinon à délivrer les autres (il n’y faut pas compter avant la fin de la guerre), du moins à les mettre en communication avec leurs familles, et, pour cela, d’abord, découvrir où ils sont. En pareil cas, comme en bien d’autres, il y a plus à attendre du zèle charitable des particuliers que de celui des gouvernements. Les amis auxquels nous nous sommes adressés en Allemagne, en Autriche, comme en France, nous ont répondu avec empressement, tous montrant le désir généreux de concourir à notre œuvre. C’est dans de telles questions qui dépassent l’amour-propre national que se révèlent la fraternité profonde des nations qui se déchirent et la folie sacrilège de la guerre. Ah ! comme on se sent tout proches, amis, ennemis, — tous unis, — devant la souffrance commune que tous les bras humains ne seraient pas trop pour écarter !

Quand on vient de goûter, après trois mois de luttes fratricides, ce sentiment reposant de large humanité et qu’on se retrouve ensuite au milieu de la mêlée, les cris de haine des journaux aboyants font horreur et pitié. Quelle besogne croient-ils faire ? Ils veulent punir des crimes et sont eux-mêmes des crimes : car les mots meurtriers sont les semences de meurtres. Dans l’organisme malade de l’Europe rongée