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INTER ARMA CARITAS

soixante-treize ans, pouvant à peine marcher, et de cinq vieux hommes de soixante à soixante-dix ans, dont un boiteux, et les emmènent à pied. Ailleurs, ce sont des femmes, des enfants. Heureux ceux qui se trouvent pris ensemble ! Ici un mari, fou de chagrin, cherche sa femme et son fils de trois ans, qui ont disparu depuis le passage des Allemands à Quièvrechain (Nord). Là, c’est une mère et ses enfants qui ont été pris par les Français, près de Guebwiller ; les enfants ont été renvoyés, non la mère. Un capitaine français, blessé par un éclat d’obus, a vu sa femme aussi blessée par les balles allemandes à Nomény (Meurthe-et-Moselle) ; depuis, elle a disparu, emportée, il ne sait où. Une vieille campagnarde de soixante-trois ans est enlevée à son mari, près de Villers-aux-Vents (Meuse), par un détachement allemand. Un enfant de seize ans est pris chez sa mère, à Mulhouse.

Nul sentiment humain dans ces rapts qui paraissent aussi absurdes que cruels. On dirait qu’on s’applique à séparer les uns des autres ceux qui s’aiment. Et de ceux qui disparaissent, aucune trace qui permette de les retrouver. — Je ne parle pas de la Belgique. Là, c’est le silence de la tombe. De ce qui s’y passe, depuis trois mois, rien ne se sait au dehors. Les villages, les villes existent-ils encore ? J’ai sous les yeux des lettres de parents (qui, parfois, n’appartiennent à aucune des nations en