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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

allemands en France. En attendant, les rapports personnels qui m’arrivent me montrent une situation analogue[1] ; et les mêmes traits de confraternité entre blessés des deux camps me sont à la fois signalés d’Allemagne et de France par des témoins très sûrs ; ici et là, ce sont des soldats du pays qui refusent d’être pansés ou de recevoir leur ration avant leurs camarades ennemis. Qui ne sait d’ailleurs que c’est peut-être dans les armées que le sentiment de haine nationale est le moins fort, parce qu’on y apprend à estimer le courage de l’adversaire, parce qu’on supporte les mêmes souffrances, et parce qu’enfin, où toute l’énergie est tournée vers l’action, il n’en reste plus assez pour le ressentiment ? C’est chez ceux qui n’agissent pas que la haine prend ces caractères de dureté implacable, dont quelques intellectuels offrent des exemples affreux.

La situation morale du prisonnier militaire n’est donc pas aussi accablante qu’on pourrait croire ; et son sort, si triste qu’il soit, est moins

  1. Les journaux des deux pays ne publient jamais que des informations tendancieuses, défavorables à l’adversaire. On dirait qu’ils s’appliquent à ne collectionner que le pire, afin d’entretenir la haine. Les cas qu’ils signalent sont souvent suspects et toujours exceptionnels. Et jamais ils ne disent rien d’informations contraires, où les prisonniers se louent de leur traitement — comme dans les lettres que nous recevons pour les transmettre aux familles, où tel prisonnier civil allemand raconte une belle promenade qu’il a faite, ou les bains de mer qu’il a pris ; tel autre s’absorbe paisiblement dans ses recherches d’entomologiste et profite de son séjour dans le Midi pour compléter sa collection d’insectes.