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DE DEUX MAUX, LE MOINDRE

homme s’amende. Et si j’en avais eu, — (j’en avais, mes amis), — vous vous êtes bien chargés de me l’enlever, artistes et savants qui avez rédigé cette Adresse, où vous vous enorgueillissez de ne faire qu’un avec le militarisme prussien. Sachez-le, rien ne nous est plus écrasant, à nous Latins, plus impossible à respirer que votre militarisation intellectuelle. Si jamais le malheur voulait qu’un tel esprit pût triompher, avec vous, en Europe, je la quitterais pour toujours. J’aurais le dégoût d’y vivre.

Voici quelques extraits de l’intéressante lettre que j’ai reçue d’un représentant de ces petites nationalités qui se trouvent disputées entre Russie et Allemagne et, tout en souhaitant de sauvegarder leur indépendance entre l’une et l’autre, se voient forcées de choisir, et choisissent la Russie. Il est bon de les entendre. Nous prêtons trop uniquement l’oreille aux grandes puissances aux prises. Songeons aux petites barques qu’entraînent dans leur sillage les grands vaisseaux. Partageons, un moment, l’angoisse avec laquelle ces petits peuples, trop oubliés par l’égoïsme de l’Europe, attendent l’issue du combat gigantesque qui décidera de leur sort. Que l’Angleterre et la France voient ces yeux suppliants qui se tournent vers elles, et que la jeune Russie, qui aspire à la liberté, pense généreusement à en faire rayonner les bienfaits !

10 octobre 1914.