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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

notre patrie terrestre, et l’autre, la cité de Dieu. De l’une, nous sommes les hôtes ; de l’autre, les bâtisseurs. Donnons à la première nos corps et nos cœurs fidèles. Mais rien de ce que nous aimons, famille, amis, patrie, rien n’a droit sur l’esprit. L’esprit est la lumière. Le devoir est de l’élever au-dessus des tempêtes et d’écarter les nuages qui cherchent à l’obscurcir. Le devoir est de construire, et plus large et plus haute, dominant l’injustice et les haines des nations, l’enceinte de la ville où doivent s’assembler les âmes fraternelles et libres du monde entier.

Je vois autour de moi frémir la Suisse amie. Son cœur est partagé entre des sympathies de races différentes ; elle gémit de ne pouvoir librement choisir entre elles, ni même les exprimer. Je comprends son tourment ; mais il est bienfaisant ; et j’espère que de là elle saura s’élever à la joie supérieure d’une harmonie de races, qui soit un haut exemple pour le reste de l’Europe. Il faut que dans la tempête elle se dresse comme une île de justice et de paix, où, tels les grands couvents du premier moyen-âge, l’esprit trouve un asile contre la force effrénée, et où viennent aborder les nageurs fatigués de toutes les nations, tous ceux que lasse la haine et qui, malgré les crimes qu’ils ont vus et subis, persistent à aimer tous les hommes comme leurs frères.

Je sais que de telles pensées ont peu de