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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

hommes a tout conduit. On entend, une fois de plus, le refrain séculaire : « Fatalité de la guerre, plus forte que toute volonté », — le vieux refrain des troupeaux, qui font de leur faiblesse un dieu, et qui l’adorent. Les hommes ont inventé le destin, afin de lui attribuer les désordres de l’univers, qu’ils ont pour devoir de gouverner. Point de fatalité ! La fatalité, c’est ce que nous voulons. Et c’est aussi, plus souvent, ce que nous ne voulons pas assez. Qu’en ce moment, chacun de nous fasse son mea culpa ! Cette élite intellectuelle, ces Églises, ces partis ouvriers, n’ont pas voulu la guerre… Soit !… Qu’ont-ils fait pour l’empêcher ? Que font-ils pour l’atténuer ? Ils attisent l’incendie. Chacun y porte son fagot.

Le trait le plus frappant de cette monstrueuse épopée, le fait sans précédent est, dans chacune des nations en guerre, l’unanimité pour la guerre. C’est comme une contagion de fureur meurtrière qui, venue de Tokio il y a dix années, ainsi qu’une grande vague, se propage et parcourt tout le corps de la terre. À cette épidémie, pas un n’a résisté. Plus une pensée libre qui ait réussi à se tenir hors d’atteinte du fléau. Il semble que sur cette mêlée des peuples, où, quelle qu’en soit l’issue, l’Europe sera mutilée, plane une sorte d’ironie démoniaque. Ce ne sont pas seulement les passions de races, qui lancent aveuglément les millions d’hommes les uns contre les autres, comme des fourmi-