Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

22
AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

bataille ! Guerre « de revanche », a-t-on dit… De revanche, en effet, mais non comme l’entend un chauvinisme étroit ; revanche de la foi contre tous les égoïsmes des sens et de l’esprit, don absolu de soi aux idées éternelles….

« Qu’est-ce que nos individus, nos œuvres, devant l’immensité du but ? m’écrit un des plus puissants romanciers de la jeune France, — le caporal *** — La guerre de la Révolution contre le féodalisme se rouvre. Les armées de la République vont assurer le triomphe de la démocratie en Europe et parfaire l’œuvre de la Convention. C’est plus que la guerre inexpiable au foyer, c’est le réveil de la liberté… »

« Ah ! mon ami, m’écrit un autre de ces jeunes gens, haut esprit, âme pure, et qui sera, s’il vit, le premier critique d’art de notre temps, — le lieutenant ***. — Quelle race admirable ! Si vous voyiez, comme moi, notre armée, vous seriez enflammé d’admiration pour ce peuple. C’est un élan de Marseillaise, un élan héroïque, grave, un peu religieux. J’ai vu partir les trois régiments de mon corps : les premiers, les hommes de l’active, les jeunes gens de vingt ans, d’un pas ferme et rapide, sans un cri, sans un geste, avec l’air décidé et pâle d’éphèbes qui vont au sacrifice. Puis, la réserve, les hommes de vingt-cinq à trente ans, plus mâles et plus déterminés, qui viennent soutenir les premiers, feront l’élan irrésistible. Nous, nous sommes les vieillards, les hommes de quarante ans, les pères de famille qui donnent la basse du chœur. Nous partons, nous aussi, confiants, résolus et bien fermes, je vous assure. Je n’ai pas envie de mourir, mais je mourrai sans regret maintenant ; j’ai vécu quinze jours qui en valent la peine, quinze jours que je n’osais plus me promettre du destin. On parlera de nous dans l’histoire. Nous aurons ouvert une ère