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JAURÈS

favorise « l’engourdissement de l’esprit public » ; — son cri d’alarme contre les « mensonges sensationnels de la presse, dirigée souvent par le capital véreux et qui par calcul financier ou par délirant orgueil, sème la panique et la haine et se joue cyniquement du destin de millions d’hommes » ; — ses paroles méprisantes pour ceux qu’il nommait « les maquignons de la patrie »  ; — sa nette appréciation de toutes les responsabilités[1] ; — sa prévision de l’attitude domestiquée que garderait, en cas de guerre, la social-démocratie allemande, à la face de laquelle il étale (au congrès d’Amsterdam, 1904), le miroir de sa faiblesse orgueilleuse, son manque de tradition révolutionnaire, son manque de force parlementaire, son « impuissance formidable[2] » ; — sa prévision de l’attitude que certains chefs du socialisme français, que Jules Guesde, entre autres, prendrait dans le combat entre les grands États[3] : — et, plus loin que la guerre, sa prévision des conséquences prochaines ou lointaines, sociales et mondiales, de cette mêlée des peuples…

Qu’aurait-il fait, s’il avait vécu ? Le prolétariat européen avait les yeux sur lui ; il avait foi en lui, comme le dit Camille Huysmans,

  1. « Chaque peuple, disait-il dans son discours de Vaise (près de Lyon), le 25 juillet 1914, six jours avant sa mort, « chaque peuple parti à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main ; et maintenant, voilà l’incendie… »
  2. Rappoport, p. 61.
  3. Rappoport, p. 369-70.