Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

153
JAURÈS

horizons lointains, — dans la voix de leur tribun buvant la pensée grecque !

De tous les dons de cet homme, le plus essentiel fut d’être essentiellement un homme, — non l’homme d’une profession, d’une classe, d’un parti, d’une idée — mais un homme complet, harmonieux et libre. Rien ne l’enfermait ; mais il enfermait tout en lui. Les manifestations les plus hautes de la vie trouvaient ici leur confluent. Son intelligence avait le besoin de l’unité[1] ; son cœur avait la passion de la liberté[2]. Et ce double instinct le défendait en même temps du despotisme de parti et de l’anarchie. Son esprit cherchait à tout étreindre, non pas pour le contraindre, mais pour l’harmoniser. Surtout, il avait le génie de voir l’ « humain » en toute chose. Son pouvoir de sympathie universelle se refusait également à la négation étroite et à l’affirmation fanatique. Toute intolérance lui faisait horreur[3].

  1. « Le besoin de l’unité est le plus profond et le plus noble de l’esprit humain ». (La réalité du monde sensible, 1891).
  2. « Il faut encore apprendre à cette jeune démocratie le goût de la liberté. Elle a la passion de l’égalité ; elle n’a pas, au même degré, la notion de la liberté, qui est beaucoup plus difficile et beaucoup plus longue à acquérir. Il faut donner aux enfants du peuple, par un exercice suffisamment élevé de la faculté de penser, le sentiment de la valeur de l’homme et par conséquent du prix de la liberté, sans laquelle l’homme n’est pas. » (Aux instituteurs, 15 janvier 1888).
  3. « Pour moi, non seulement je n’ai jamais fait appel à la violence contre des croyances, quelles qu’elles soient, mais je me suis toujours abstenu envers elles de cette forme de violence qui s’appelle l’insulte… L’insulte exprime la révolte débile et convulsive plus que la liberté de la raison… » (1901).