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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

seulement dans ses discours, dans ses traités sociaux, mais dans ses livres d’histoire, dans ses œuvres de philosophie[1], et partout laissant sa marque, le sillon de son labeur robuste et la semence de son esprit novateur. Souvent je l’ai entendu à la Chambre, dans les congrès socialistes, dans les assemblées pour la défense des peuples opprimés ; il m’a même fait l’honneur de présenter mon Danton au peuple de Paris. Je revois sa grosse figure calme et joyeuse de bon ogre barbu, ses yeux petits, vifs et riants, dont le regard lucide savait en même temps suivre le vol des idées et observer les gens ; je le revois sur l’estrade, allant de long en large, les bras derrière le dos, à pas lourds, comme un ours, et se tournant brusquement pour lancer à la foule, de sa voix monotone et cuivrée, comme une trompette aiguë, de ces mots martelés qui s’en allaient frapper jusqu’aux places les plus hautes des vastes amphithéâtres, et qui touchaient au cœur, qui par toute la salle faisaient bondir l’âme de tout un peuple uni dans la même émotion. Et quelle beauté de voir parfois ces multitudes de prolétaires, soulevées par les grands rêves que Jaurès évoquait des

  1. Son principal ouvrage philosophique est sa thèse de doctorat : La réalité du monde sensible (1891) De la même année est son autre thèse (thèse latine) : Des origines du socialisme allemand, où il remonte au socialisme chrétien de Luther.

    Sa grande œuvre historique est son Histoire socialiste de la Révolution, — Très intéressante, sa discussion avec Paul Lafargue sur l’Idéalisme et le matérialisme dans la conception de l’histoire.