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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

de passer par une terrible épreuve, — le feu des mitrailleuses… Il me fut une preuve du non-sens de la guerre. Je pensais, comme on eût voulu être l’ami de ces hommes, qui vous sont si proches par l’éducation, la façon de vivre, le cercle de pensées, les intérêts. — Nous nous mîmes à causer d’un livre sur Rousseau, et nous commençâmes à disputer, comme de vieux philologues… Combien nous sommes semblables en force et en valeur ! Et combien peu vrai ce que nos journaux racontent des troupes françaises ébranlées et épuisées ! Aussi vrai, aussi peu vrai que ce que les journaux français écrivent sur notre compte… Le collègue français montrait dans ses propos un esprit si réfléchi, tant de compréhension et d’estime pour l’esprit allemand ! Que nous soyons ainsi faits pour être amis et que nous devions être séparés !… J’étais tout à fait bouleversé. Je m’assis anéanti. Je méditais, je méditais… Et je ne pouvais m’en tirer par tous les sophismes. — Aucune fin, aucune fin à la guerre, qui depuis bientôt six mois engloutit dans son gouffre hommes, fortune et bonheur ! Et ce sentiment est le même chez nous et chez les autres. Toujours le même tableau : nous faisons la même chose, nous souffrons la même chose, nous sommes la même chose. Et c’est justement pour cela que nous sommes si âprement ennemis…


Mêmes accents d’angoisse et de trouble, avec un désespoir qui touche presque à l’affolement, par instants, et, qu’à d’autres, soulève un haut