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LE MEURTRE DES ÉLITES

rière, nous rougissons. Dieu soit loué ! la vieille robuste pudeur n’est pas morte chez nous… Ah ! chers amis, qui est ici ne parle pas si complaisamment de mourir, de trépas, de sacrifice, de victoire, comme le font ceux qui, derrière nous, sonnent les cloches, déclament les discours, écrivent les journaux. Qui est ici s’accommode comme il peut de l’amère nécessité de la souffrance et de la mort, si c’est son lot ; mais il sait, il voit que de nobles sacrifices, d’innombrables, d’innombrables sacrifices ont été déjà accomplis, et que de la destruction, on en aurait depuis longtemps assez, de notre côté comme de l’autre. Précisément quand on doit, comme moi, voir en face la souffrance, alors s’entrelace un lien qui m’unit avec ceux qui sont là-bas, de l’autre côté ; (et qu’il vous lie aussi avec eux, mes chéris !… Oui, vous le sentez aussi, n’est-ce pas ?…) Si je reviens d’ici (ce que je n’espère presque plus), mon devoir le plus cher sera de me plonger dans l’étude de la pensée de ceux qui ont été nos ennemis. Sur une plus large base, je veux reconstruire mon être… Et je crois, qu’après cette guerre, il sera moins difficile qu’après toute autre d’être humain.


Le deuxième fragment est le récit d’une émouvante rencontre avec un prisonnier français :

Hier soir, j’ai été étrangement ému. J’ai eu l’occasion de voir un transport de prisonniers, et j’ai causé avec un d’eux, un collègue, professeur de philologie ancienne au collège de F… Un homme si ouvert, si intelligent, d’une si belle tenue militaire comme tous ses compagnons, bien qu’ils vinssent