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LITTÉRATURE DE GUERRE

de l’action, ne s’embarrassent pas de ces questions. L’ennemi est pour eux un bloc ; et ce bloc seul existe, car il faut qu’ils le brisent : c’est leur rôle, leur devoir. À chacun son devoir ! — Mais si les minorités n’existent pas pour eux, elles existent pour nous qui, ne combattant pas, avons la liberté et le devoir de tout voir, nous qui faisons partie de la minorité éternelle, celle qui a été, qui est et qui sera l’éternelle opprimée, l’invincible éternelle. À nous d’entendre et de révéler ces souffrances morales ! Assez d’autres répètent, ou inventent, les joyeux échos de la mêlée. Que d’autres voix s’élèvent, qui rendent au combat ses tragiques accents et son horreur sacrée !

Je prendrai mes exemples dans le camp ennemi, — pour plusieurs raisons : parce que la cause allemande étant, dès le début, entachée d’injustice, les souffrances du petit peuple des justes et du peuple plus petit encore des clairvoyants y sont plus grandes qu’ailleurs ; — parce que ces témoignages s’étalent ouvertement dans des publications, dont la censure allemande n’a pas vu la hardiesse ; — parce que je m’incline avec respect devant la discipline héroïque du silence que la France qui combat s’impose sur ses souffrances. (Plût à Dieu que ce silence ne fût pas rompu par ceux qui, prétendant les nier, dans des récits de journaux sans sérieux et sans dignité, profanent la grandeur du sacrifice par la légèreté révoltante de leurs niaises facéties !)