Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.

135
LITTÉRATURE DE GUERRE

tera ses souffrances avec calme ; il les acceptera même volontiers, parce qu’il sent qu’elles le font plus riche, plus sensible, plus fort et plus humain[1] ».

Et il cite les mots du vieux Maître Eckehart :

« Das schnellste Tier, das Euch tragt zur Vollkommenheit, ist Leiden. » (La bête la plus rapide qui vous porte à la perfection, c’est la Douleur).


Au terme de cette revue sommaire des jeunes écrivains de la guerre, il faut faire une place à ceux qu’elle a brisés ; ils étaient parmi les meilleurs : — Ernst Stadler, passionné pour l’esprit et pour l’art de la France, traducteur de Francis Jammes, admirateur de Péguy, et qui, des tranchées de France où on l’avait envoyé, à la veille de sa mort, en novembre, s’entretenait par lettre, avec Stefan Zweig, de Verlaine qu’il traduisait ; — le malheureux Georg Trakl, poète de la mélancolie, dont on fit un lieutenant de colonne sanitaire, en Galicie, et que la vue des souffrances poussa, à la fin d’octobre, au désespoir et au suicide. — Que de tragédies cachées, sur lesquelles nous laissons le voile, pour l’instant ! Quand nous le lèverons plus tard, l’humanité frémira en contemplant son œuvre.

  1. Hymne auf den Schmerz (janvier 1915). — À noter que le Forum est lu dans les tranchées, et que du front de l’armée lui sont venues de nombreuses approbation. (Der Phrasenrausch und seine Bekämpfer, février 1915).