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XIV

LETTRE AU JOURNAL
« SVENSKA DAGBLADET » DE STOCKHOLM[1]


La pensée européenne de demain est aux armées. Les bruyants intellectuels qui s’insultent d’un camp à l’autre ne la représentent nullement. La voix des peuples qui reviendront de la guerre, après en avoir éprouvé l’atroce réalité, fera rentrer dans le silence ces hommes qui se sont révélés indignes d’être les guides spirituels du genre humain. Alors, parmi ceux-ci, plus d’un saint Pierre pleurera, entendant le chant du coq, et disant : « Seigneur, je t’ai renié ! »

Les destins de l’humanité l’emportent sur ceux de toutes les patries. Rien ne saura empêcher les liens de se reformer entre les pensées des nations ennemies. Celle qui s’y refuserait se suiciderait. Car par ces liens circule le flot de vie.

Mais ils n’ont jamais, au plus fort de la guerre, été rompus complètement. La guerre a même

  1. Le journal Svenska Dagbladet avait adressé aux principaux intellectuels d’Europe une enquête au sujet des résultats qu’aurait la guerre, pour « la collaboration internationale dans le domaine de l’esprit. » Il se demandait, « avec anxiété, dans quelle mesure il serait possible, une fois la paix conclue, de rétablir les relations entre savants, écrivains, artistes des différentes nations ».