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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

au fond des peuples et que rien ne l’empêchera bientôt de ressurgir.

J’ai, à diverses reprises, montré dans les pays neutres des refuges de cet esprit européen, qui semble pourchassé des pays belligérants par les armées de la plume, plus féroces que les autres : car elles ne risquent rien. Les efforts faits en Hollande ou en Espagne pour tâcher de sauver l’unité morale de l’Europe, l’ardente charité, l’assistance inlassable que la Suisse prodigue aux malheureux, aux prisonniers, aux blessés, aux victimes de l’un et de l’autre camps, sont un grand réconfort pour les âmes oppressées qui, par tous les pays, suffoquent dans l’atmosphère de haine qu’on leur impose et aspirent à un air plus pur. Mais je trouve plus belles encore et plus touchantes les manifestations, dans les pays belligérants (si rares, si chétives soient-elles) d’entr’aide fraternelle entre amis et ennemis.

S’il est deux peuples entre qui la guerre actuelle semble avoir creusé un abîme de rancunes et de malentendus, c’est l’Angleterre et l’Allemagne. Les écrivains et publicistes allemands, dont le mot d’ordre est de professer pour la France plus de sympathie apitoyée que d’animosité, et qui même s’efforcent de distinguer entre le peuple russe et son gouvernement, ont voué à l’Angleterre une haine immortelle, Hasse England est devenu leur Delenda Carthaço. Les plus modérés déclarent que la