Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.

90
AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

Je ne sais ce qu’ils pensent de l’article de Thomas Mann, paru dans le numéro de novembre de la Neue Rundschau : « Gedanken im Kriege ». Mais je sais bien ce qu’en penseront les intellectuels français : l’Allemagne ne pouvait leur offrir d’arme plus terrible contre elle.

Mann, dans un accès de délire d’orgueil et de fanatisme irrité, s’acharne à parer l’Allemagne des pires accusations qu’on ait portées contre elle. Alors qu’un Ostwald essaie d’identifier la cause de la Kultur et celle de la civilisation, Mann proclame : « Il n’y a rien de commun entre elles : la guerre qui se livre est celle de la Kultur (c’est-à-dire de l’Allemagne) contre la civilisation » ; et poussant la forfanterie d’orgueil jusqu’à la démence, il définit la civilisation par la raison Vernunft, Aufklärung, la douceur Sanftigung, Sitligung, l’esprit Auflösung, Geist, — et la Kultur par « une organisation spirituelle du monde », qui n’exclut pas « la sauvagerie sanglante. » La Kultur est « la sublimation du Démoniaque » (die Sublimierung des Dämonischen). Elle est « au-dessus de la morale, de la raison, de la science ».

Et tandis qu’un Ostwald, un Haeckel, ne voient dans le militarisme qu’un instrument, une arme, dont la Kultur se sert pour la victoire, Thomas Mann affirme que la Kultur et le militarisme sont frères, que l’idéal de l’un et l’idéal de l’autre sont une seule et même chose, qu’ils ont le même principe, que leur ennemi est le