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plaintes de quelques particuliers durant l’absence desquels, le jour du désarmement, on avait fait enfoncer les portes par des sapeurs, pour visiter s’il n’y avait pas d’armes chez eux et enlever celles qui pouvaient s’y trouver.

Toute cette conduite despote et avilissante du corps municipal est très raisonnée ; je ne fais pas le moindre doute que le maire[1] ne soit un traître fieffé ; plein des préjugés du vieux régime, de la morgue des robins, de l’insolence des gens du roi, dévot jésuitique, pleureur et tartuffe, il n’est bon qu’à favoriser une contre-révolution. Blot ne saurait donner à Brissot que de timides conseils sur son journal pour les articles de Lyon, parce qu’à Lyon Blot est connu pour son correspondant, son ami, qu’on lui attribue en conséquence ce que Brissot publie sur cette ville, et qu’il craint de se compromettre, surtout dans cette circonstance où il est l’homme, l’agent, l’organe, le député de la municipalité.

Je vois que vos louables efforts pour la réunion des patriotes ne seront pas aisément suivis de succès, cette manie de tout conduire, cette haute opinion de soi-même qui déshonore le talent et le font échouer, lesquelles paraissent entacher l’abbé F. [Fauchet][2] et d’autres, sont des restes malheureux de l’antque esclavage. Quand on ne s’est pas habitué à identifier son intérêt et sa gloire avec le bien et la splendeur du général, on va toujours petitement, se recherchant soi-même et perdant de vue le but auquel on devrait tendre.

On trouve bien des Cicérons qui sauveraient la République pour s’en vanter, on ne voit guère de Catons qui la sauvassent pour elle-même. Vous seriez de ce nombre si vous étiez parmi les représentants, et je voudrais vous y voir ; ce ne serait peut-être pas une chimère pour une prochaine législature, mais le pas qui reste à faire d’ici là est terriblement glissant, et je ne vois pas trop clair dans les événements. Nous en calculerons les données quand vous serez venu.

La douce amitié, l’entière confiance vous attendent avec empressement.

Faites en sorte de m’avertir du jour de votre arrivée à Villefranche.

  1. Palerne de Savy (1733-1835?), premier maire de Lyon, du 12 août 1790 au 6 décembre, jour où il démissionna ; remplacé par Louis Vitet, le 23 décembre.
  2. L’abbé Claude Fauchet (1744-1793), dont le rôle dans la Révolution est trop connu pour que nous ayons à le rappeler ici. — À ce moment-là, associé à Bonneville, il avait transformé une loge maçonnique en un club, appelé le Cercle social, et avait fondé, pour servir d’organe à ce club, un journal, La Bouche de Fer (Hatin, p. 163 ; Tourneux, p. 10425 et suiv.). Voir sur lui les lettres de 1791.