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Ménagez-vous, faites bon voyage et arrivez tous deux ; vous êtes attendus par de bon amis qui se font une grande fête de vous embrasser.


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AUX DEUX VOYAGEURS, [À PARIS[1].]
Le 13 août 1790, — [du Clos.]

En vérité, mes bons amis, je commence à m’ennuyer des incertitudes de nos grandes affaires et des longueurs de ce départ tant désiré. Ce sentiment n’est digne ni du courage d’une citoyenne, ni de la constance d’une âme éprouvée ; aussi je me dépêche d’en faire justice ; mais je confesse ce mouvement de faiblesse, parce qu’on n’a nul besoin de cacher ce qu’on parvient à surmonter. D’ailleurs, je ne me défends pas d’un certain mélange d’inquiétudes et de crainte que je ne saurais définir.

Nous nous étions nourris du plaisir de vous recevoir, dans la paix et l’amitié, à une époque déterminée : la chose publique devait prêter un nouvel intérêt à nos conférences, sans paraître alors devoir rien offrir à nos alarmes, et l’avenir ne présentait qu’un nuage embelli des rayons d’une douce espérance. L’horizon me semble changé ; de nouveaux incidents s’accumulent ; une crise se prépare ; de petites circonstances successives vous arrêtent, et j’ai peur qu’elles ne vous conduisent à un point où vous ne deviez plus quitter. Je dis que j’ai peur, et c’est le mot ; car je ne suis femme ni à vous engager de quitter le poste, si quelque devoir vous commande de le garder, ni à voir tranquillement mes amis dans un péril que je ne partagerais pas avec eux. Je suis véritablement sur les épines, attendant chaque courrier la nouvelle de votre départ ou celle de quelque révolution ; cette situation alimente terriblement l’activité d’une âme sensible. Mais c’est assez vous parler de moi ; je n’ai pas besoin de fixer votre attention sur l’état de ceux qui attendent ; vous la devez tout entière aux grands objets qui vous environnent. Il y a, ce me semble, de profondes combinaisons dans la marche de nos ennemis : je l’augure du concours d’un si grand nombre de tentatives réunies ; le décret Malouet, pour intimider et arrêter les écrivains

  1. Lettres à Bancal, p. 49 ; — ms. 9534, fol. 36-38. — Il y a en marge : « Rép. le mercredi 18 ». Les deux voyageurs » sont Bancal et Lanthenas.