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mettaient de criailler parce qu’il n’y avait nulle police, nul moyen de maintenir ou de rappeler l’ordre. Puis tous nos magistrats de dire : « Voilà ce que c’est que la publicité et l’obligation qu’on a à M. Blot, qui l’a tant prêché ! On nous a forcé. »

Ce n’est pas tout ; mais vous savez ce qui a suivi ces premiers jours : cette contradiction de la déclaration solennelle d’une abolition des droits, puis la subite affiche du décret qui ordonne la continuité de leur perception[1].

Je viens au lundi 26[2]. Rien n’avait été rétabli, la fermentation subsistait, et cependant aucune précaution extraordinaire n’était prise. Aussi quelques centaines de révoltés vinrent-ils envahir la Maison commune et s’en emparèrent-ils avec facilité, tandis que d’autres se portaient, d’une part au Grenier à poudre, de l’autre à l’Arsenal. Le particulier qui commandait à ce dernier poste envoie demander aussitôt la permission de charger des canons pour faire montre de vigoureuse résistance ; le maire répond qu’il n’est pas nécessaire ; le capitaine, outré, prêt à être forcé, agit contre l’ordre, sort les canons, les charge, et la multitude est dissipée par cette seule annonce de fermeté. Une partie des gardes nationales pénètre, par les derrières, dans la Maison commune et en chasse aisément ceux qui y avaient pénétré.

Plusieurs maisons étaient, dès le matin, marquées à la craie pour le pillage ; c’étaient celles des plus riches commerçants ou de ceux soupçonnés pour avoir le plus d’argent. On eût dû, dès ce moment, appeler les Suisses pour doubler les postes et soutenir la garde nationale ; ils ne furent invités que le soir ou au milieu du jour à sortir de leurs casernes pour s’emparer du magasin à poudre, et c’est à l’instant qu’ils se rendaient à ce poste, avec partie de la garde nationale, que tout un quartier tira sur eux des coups de fusil qui eussent fait beaucoup de victimes, si les gens qui les tiraient, heureusement peu au fait, n’eussent visé de manière que leurs balles allaient frapper les baïonnettes des braves gens qu’ils voulaient immoler.

  1. Les décrets des 13 et 17 juillet.
  2. L’éditeur de 1835 dit en cet endroit : « Cette lettre se trouve interrompue ici… ». Il se trompe, et, sans s’en douter, il donne lui-même, trente-deux pages plus loin, la suite de la lettre (p. 69-75), sous la rubrique de « Lundy, 26 », comme s’il s’agissait d’une lettre distincte. Mais l’examen des autographes (ms. 9504, fol. 25-29) prouve son erreur. Le folio 26 se termine par : « leur perception », et le folio 27 commence par : « je viens au lundi 26 ». D’ailleurs, à défaut des autographes, le seul rapprochement des deux fragments séparés arbitrairement par l’éditeur de 1835 suffirait à prouver leur continuité.