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LETTRES DE MADAME ROLAND

s’est trouvé rempli, malgré l’extrême simplicité que nous avons gardée dans tout ce qui n’est que cérémonies. Aussi ce ne sont point les affaires bruyantes et vaines, ordinaires dans ces circonstances, qui nous ont occupés ; j’aurais su interrompre celles de cette espèce pour te dire un mot ; mais, d’une part, le train de travail de M.  Roland, de l’autre celui de la maison pour moi, et les petites gênes du local, ne m’ont pas laissé un moment à te consacrer.

Nous avons passé trois jours à Vincennes[1] sans profiter beaucoup de la campagne ; le temps était détestable ; mais, chez les autres, on ne fait jamais tout ce que l’on veut. Me voici présentement rentrée dans ce logement[2] dont tu vis les dispositions avant que je vinsse l’habiter ; je vais voir aujourd’hui nos religieuses et mon cloître[3] pour la première fois depuis que je les ai quittés. En vérité, les changements de scène sont assez singuliers. J’ai bien reconnu dans ta lettre et les dispositions de ton cœur et les véritables expressions d’un attachement qui m’est connu ; je m’attendais à l’impression agréable que tu recevrais de cet événement, parce que j’étais assurée de l’intérêt vif et sincère que t’avait toujours fait prendre ta tendre amitié aux choses qui me touchaient. Cette considération n’ajoute pas peu à mon bonheur ; non seulement je jouis pour moi, mais je songe avec douceur que je rends participante de ma satisfaction une amie qui si souvent fut pénétrée des épreuves que je subissais. N’est-il pas enchanteur que ce soit dans ta ville[4] que devaient enfin me conduire ces différentes démarches qui paraissaient m’en éloigner pour toujours ? Ainsi l’on avance aveuglément, dans sa carrière sans savoir où elle nous conduit, et la prévoyance la plus sûre ne fait souvent que nous préparer des surprises à nous-mêmes. J’ignore le temps précis où je partirai pour la résidence[5] ; toutes les résolutions demeurent subordonnées aux affaires, et celles-ci ne donnent que des conjectures à former.

J’espère que tu n’auras pas oublié de présenter pour moi, à notre chère

  1. Chez le chanoine Bimont, son oncle maternel. — Voir sur lui Appendice B. « la famille de Marie Phlipon ».
  2. Nous ne saurions dire où était ce premier logement.
  3. Le couvent des « Filles de la Congrégation Notre-Dame », appelé aussi « Dames chanoinesses de Saint-Augustin » ou « Dames Augustines de la Congrégation », était situé rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, au faubourg Saint-Marcel ; c’était là que Marie Phlipon avait passé une année de son enfance (1765-1766) et s’était liée d’amitié avec les demoiselles Cannet ; c’est aussi là qu’elle s’était retirée dans les trois mois qui précédèrent son mariage (7 novembre 1779-4 février 1780). — Voir, sur ce couvent. Cocheris, II, 723.
  4. Amiens
  5. Idem.