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qu’il n’existe ni démarche, ni écrits relativement aux octrois dont on puisse se faire des armes contre nous, il faudra bien que tout ce tapage finisse, et j’ai pris le parti d’aller voir les choses de près. Je ne me soucie pas que mon mari se rende encore à Lyon, puisqu’il en est une fois sorti ; un honnête homme est aussitôt pendu qu’un sot, et tel glorieux qu’il soit de mourir pour la patrie, ce n’est pas au réverbère. Il ne faut qu’un petit nombre de sujets apostés pour faire un mauvais parti. Mais, comme l’usage ne s’est pas encore introduit de lanterner les femmes, je dirigerai mon palefroi vers la grande ville après demain vendredi.

On répandait ce matin que le peuple s’occupait à la dépaver, pour s’opposer à l’arrivée des troupes de ligne. Je ne crois pas encore à cette nouvelle ; on avait bien dit un jour qu’il était à brûler les barrières, auxquelles il n’a fait aucun mal. Je saurai ce soir à quoi m’en tenir, j’y ai envoyé un exprès. Je ne sais, mes amis, mais je crois que l’aristocratie se ménage l’arrivée des troupes à Lyon pour en faire le centre de ses menées. C’est un ancien projet. Nombre de nobles du Dauphiné, du Forez et autres provinces voisines n’attendaient cet hiver qu’une garnison à Lyon pour choisir le séjour de cette ville ; on a toujours affecté de répandre qu’elle ne pouvait se garder elle-même. L’avenir me semble gros de malheurs pour cette belle commune ; mais s’il doit y avoir en France une contre-révolution, elle commencera par Lyon. L’esprit de la province, ses relations et sa proximité avec la Savoie, l’aristocratie qui s’y établit, tout me paraît devoir confirmer cette présomption. L’Assemblée n’a pas été bien instruite touchant l’état de cette ville, la misère du peuple et les idées de la classe dominante ; aussi n’a-t-elle su qu’ordonner l’emploi de la force, qui va peut-être causer des effets désastreux. Mieux éclairée sur cet objet, elle eût dans son premier décret, en ordonnant la continuité de la perception pour ne pas déroger à ses principes, déclaré qu’elle apercevait l’excès des charges dont le peuple se plaignait et chargé aussitôt la municipalité de lui fournir des renseignements sur lgétat de la ville et les moyens d’améliorer le sort de ses habitants. Ceux-ci eussent été