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belle œuvre, avec une autre femme dont j’ignorais l’existence, et qui probablement est demeurée aussi tranquille que moi.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que ma vie retirée à Lyon y a conservé mon visage parfaitement inconnu et que, sous certain rapport, j’en pourrais dire autant de mon nom, car beaucoup de gens prennent ici mon mari pour un abbé, soit à cause de son costume, soit pour sa mine discrète.

Pour ajouter à la peinture de ces extravagances, que puis-je mieux faire que de vous dire que mon beau-frère s’en était laissé persuader.

« Eh quoi ! lui disais-je hier, si l’on venait m’assurer que, par fanatisme, vous avez tué votre frère, je commencerais par rejeter cette sotte nouvelle, quoique je connaisse vos opinions. Il est une vérité de sentiment fondée sur le caractère et les habitudes, propre à infirmer même les plus nombreux témoignages. — Vous avez tort, le répondit-il, on ne peut être assuré que de soi-même, et encore n’en doit-on pas toujours répondre. — Vraiment ! ai-je répliqué, je vois bien qu’à la place d’Alexandre vous n’auriez pas reçu le breuvage des mains de Philippe. Aussi, ajoutais-je mentalement, vous n’êtes pas un héros. » Ô mes amis, de quels excès ne sont pas capables les ennemis de la Révolution, puisqu’ils sont si hardis à supposer ou si faciles à croire ceux prétendus des bons citoyens !

Dans les circonstances aussi critiques, il importe cependant que l’innocence soit manifestée ; en conséquence, il va aujourd’hui à l’imprimerie un petit écrit propre à la faire connaître et à fermer la bouche aux imposteurs[1]. Vous jugez bien qu’il n’y est pas question de moi, je serai assez lavée dès que l’innocence de mon mari sera reconnue. Justifier une femme, c’est presque toujours la compromettre, et je n’ai trouvé Mme  Nec[ker] ridicule que depuis que son mari a publié son éloge en traitant d’affaires d’État.

Au fait, comme nous n’avons absolument rien à nous reprocher,

  1. Aux amis de la vérité, 28 juillet 1790, in-8o, 7 pages.

    Voir le Patriote français du 26 août, qui en publie de longs extraits, en prenant cette fois, très vivement le parti de Roland. — Cf. Appendice P.