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de la ville sans qu’on nous apportât rien de Paris. On ne nous dit point que le courrier n’était pas encore venu ; son retard a tout éclairci.

Assurément, vous serez, vous êtes notre digne et bon ami ; quel autre nous pourrait rendre les convenances qui nous rapprochent, les rapports qui nous lient ? Si vous avez promptement aperçu en nous ces mœurs simples, compagnes des sages principes et des douces affections, nous avons bientôt reconnu votre cœur aimant et généreux, fait pour goûter tout ce que peuvent produire le sentiment et la vertu.

Il est plus vrai qu’on ne le pense que les temps de révolution, si propres à développer les facultés morales et tout ce qui existe de passions nobles, favorisent également ces liaisons rapides et durables qui naissent de l’énergie des unes et des autres.

Sous l’ancien régime, il fallait peut-être s’étudier davantage pour s’apprécier sûrement ; mais avec une haine égale de l’esclavage, des tyrans, et des vices qu’ils enfantent ou protègent, lorsqu’on vit à une époque où cette haine doit se manifester par la conduite et par des sacrifices, on a toujours avec soi une juste mesure pour estimer ses pareils.

Vous avez célébré la fameuse journée… Vous aurez occupé à la fête une place où il est glorieux de se trouver, parce qu’elle est donnée à des soins pris dans un temps où le seul amour du bien faisait braver les périls[1].

Le ciel n’a pas voulu que je fusse témoin d’aucun de ces grands spectacles dont Paris a été le théâtre et dont j’aurais été ravie ! Je m’en suis dédommagée en me livrant avec transport à tous les sentiments qu’ils ont dû enflammer dans les âmes saines.

Je me rappelle avec attendrissement ces instants de ma jeunesse où nourrissant mon cœur, dans le silence et la retraite, de l’étude de l’histoire ancienne, je pleurais de dépit de n’être pas née Spartiate ou romaine[2]. Je n’ai plus rien à envier aux antiques républiques : un jour plus pur encore nous éclaire, la

  1. Bancal avait été, en 1789, un des Électeurs de Paris et avait joué un rôle important dans les journées qui précédèrent et suivirent le 14 juillet. Délégué par le district de Clermont à la Fédération de 1790, il avait dû sans doute à son titre d’ancien Électeur une place d’honneur à la cérémonie.
  2. Elle écrivait à Roland, le 23 avril 1779 (Join-Lambert, XIV) :

    « La variété des scènes que l’histoire ancienne me présentait arrêtait mon attention, et le récit d’une belle action me transportait jusqu’au délire ; combien de fois je pleurai, dépitée de n’être pas née Spartiate ou Romaine ! »