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[À BOSC, À PARIS[1].]
25 août [1789, de Lyon].

Vous méritez bien un petit mot de bonne amitié pour votre dernière lettre, qui nous a fait le plus grand plaisir. Je sens à merveille combien vous devez être occupé ; mais aussi je ne me plains pas de votre silence momentané comme d’un tort que vous ayez, mais comme d’une privation que j’éprouve. Courage donc, assemblez-vous toujours. À force de se réunir pour l’intérêt commun, la bienveillance s’étend, les idées se propagent et l’esprit public s’assied.

Nos sottes villes de province sont à cent lieues de vous de toute manière ; la vanité y est si grande, que chaque individu s’en trouve rapetissé de moitié ; chacun ne veut considèrer que soi, et tous ne voient ainsi que des imbéciles. Je crois que le bon Anglais[2] a raison, et qu’il nous faut un peu de guerre civile pour valoir quelque chose. Toutes ces petites querelles et insurrections du peuple me semblent inévitables ; je n’imagine pas qu’il soit jamais possible de sortir du sein de la corruption pour s’élever à la liberté sans des convulsions un peu vives. Ce sont les crises salutaires d’une maladie grave, et il faut une terrible fièvre politique pour épurer nos mauvaises humeurs. Allez donc votre train ; que nos droits se déclarent, qu’ils soient soumis à notre aveu, et que la constitution vienne ensuite[3].

On se chamaillera, je m’y attends : qu’y faire ? s’armer de courage. Je camperais bien là la science et le reste pour ne faire et rêver que politique ; peut-il y avoir en ce moment comparaison d’intérêt ? Mais il faut se tenir à sa place et n’être pas rebelle aux influences de ses entours.

Adieu ; salut et amitié, en unité de cœur, de citoyens et de frères.

  1. Bosc, IV, 131 ; Dauban, II, 574.
  2. Ce « bon Anglais » doit être Pigott, dont on trouvera la notice plus loin (lettre du 13 août 1790).
  3. L’Assemblée nationale avait commencée le 20 août, à voter les articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La thèse de Madame Roland était qu’on les soumit ensuite à la sanction du peuple, avant de passer au vote de la Constitution.