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Les relations des États-Unis, les avantages de leur constitution, de leur commerce, etc., répandront, dans toutes les parties du monde, le besoin d’apprendre leur langue. Quant au plaisir de la cultiver…, ah ! Monsieur, « si les ouvrages de pure imagination font encore plus de prosélytes que ceux de philosophie, de physique, de haute morale, etc… », quelle langue doit être cultivée autant que l’anglais, qui les réunit tous !

C’est le peuple de l’Europe qui a l’imagination la plus forte, la plus sensible, les romans les plus intéressants et les plus variés, et le théâtre sinon le plus châtié, peut-être le plus attachant.

Vous avez appris l’italien pour l’Arioste, le Tasse, Métastase, Goldoni, etc. Vous êtes à la fois un sage et un homme de goût, et vous n’avez point appris l’anglais, je ne dis pas pour Locke, Newton et tant d’autres, mais pour son Milton, sublime dans ses beautés, étonnant dans ses écarts mêmes, frais et touchant comme Homère dans ses détails et ses descriptions ; vrai poète épique à qui nous n’avons rien à comparer ; moins fécond peut-être que l’inépuisable Arioste, moins régulier que le Tasse, et peut-être aussi plus grand qu’eux deux. Vous ne l’avez point appris pour son Thompson[1], ce chantre aimable des « Saisons » ; majestueux et riche comme la nature qu’il peint en maître, digne de s’asseoir au pied du trône de son Créateur, dont le souffle divin semble l’avoir inspiré. Heureux agriculteur, vous foulez avec complaisance les champs cultivés par vos soins[2] ; Virgile à la main, vous vous appliquez à vous-même le fortunatos nimium, et vous n’avez jamais fixé vos yeux attendris sur les vers de Thompson !… Et Pope, si sage et si brillant, n’a pas porté dans votre âme, avec la douceur de son chant, celle de sa doctrine, dans ces moments où l’âme la plus paisible soupire

  1. Nous avons déjà remarqué (lettre 267) que Madame Roland écrit Thompson pour Thomson.
  2. Varenne de Fenille était grand propriétaire en Bresse. Il avait travaillé activement au développement de pépinières du pays (voir Ph. Le Duc, passim). À Bourg, il habitait l’hôtel de champdor (ancien hôtel de Choin, d’où était sortie au siècle précédent la maîtresse du Grand-Dauphin), où vécut depuis Edgar Quinet enfant. Il avait accensé les fossés de la ville de Bourg, contigus à son hôtel et à son jardin, et en avait fait un « jardin anglais », célèbre alors dans la région, mais dont il ne reste aujourd’hui que quelques vestiges.