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donner courage à tous les héros en cornette. Cependant, comme il ne serait pas glorieux de se prévaloir d’un tel avantage, je passe à vos raisons.

Vous demandez si la langue anglaise a de l’harmonie et vous appuyez fort adroitement sur la difficulté de sa prononciation pour les étrangers, comme une sorte de preuve de la négative. Pour réponse à la question, je voudrais que vous entendissiez un Anglais instruit débiter les beaux vers des grands poètes de sa nation ; la noblesse de ses accents, la facilité de son expression, la justesse de la cadence ou la mesure du rythme, des sons pleins, des terminaisons sonores vous persuaderaient en dépit de vous-même, et votre oreille subjuguée porterait à votre esprit une idée des belles choses que le défaut de connaissance ne vous eût pas permis de saisir.

Quant au fait de la difficulté, que je ne nie pas, permettez-moi d’observer qu’elle est, en partie, relative. Nous trouvons l’italien très facile ; l’espagnol et le portugais ne le seraient pas moins pour nous, et nous les apprendrions également, s’ils avaient autant d’auteurs aimables. Mais toutes ces langues sont sœurs de la nôtre ; ce sont des dérivés d’un même principe ; il n’est pas étonnant que des enfants d’une même famille s’entendent plus aisément entre eux qu’avec des hommes d’un autre climat.

La preuve, c’est que les Allemands et les Anglais s’entendent aussi facilement que les Français et les Italiens, et, si l’on parle plus notre langue dans les États du Nord que celle de nos voisins du Midi, nous le devons à des causes qui ne tiennent pas à la nature même de notre langue. J’ajouterai que s’il reste encore quelque chose à dire contre la difficulté intrinsèque de l’anglais, difficulté qu’un peu d’habitude a bientôt surmontée, et que le besoin ou le plaisir ne calcule jamais, elle est rachetée au centuple par la liberté des élisions, très fréquentes en anglais, par cette étonnante faculté de contracter ou d’étendre les mots d’une manière qui laisse à l’imagination toute sa vivacité, au sentiment tout son feu, au génie toute sa grandeur ; qui présente tous les tons, et ouvre au poète, comme à l’orateur, la plus vaste carrière.