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pas de quatre mois d’ici ; nous destinons cet intervalle à la suite du travail encyclopédique, remis sur le chantier.

Adieu, soyez toujours bon enfant, s’il est possible, dans votre tourbillon. Nous vous embrassons cordialement.


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[À BOSC, À PARIS[1].]

6 avril 1788, — [de Villefranche].

En vérité, mon cher, peu s’en faut que je ne m’adresse à un tiers pour demander de vos nouvelles ; il y a si longtemps que vous ne nous en avez donné avec quelques détails, avec ce ton de confiance qui nourrit celle de ses amis, que je douterais presque d’être bienvenue à continuer sur le même pied.

N’aurions-nous point une nouvelle connaissance à faire ? Et vous, qui me mandiez autrefois que vous changiez chaque année, ressemblez-vous encore à vous d’il y a trois ans ? Il est bien besoin que vous me mettiez au fait, car, telle longue qu’on suppose la lunette, la mienne ne me fait pas voir à cent lieues : je ne juge que par approximation. Par exemple, je me rappelle de vous avoir connu une âme excellente, un cœur aimant ; et comme ces choses ne se dénaturent pas aisément, je vous les crois toujours et je vous aime en conséquence. Mais il me semble ainsi que vous êtes parfois, dans l’expression ou le style, le contraire de doux, ou à peu près ; puis, que vous n’endurez pas volontiers qu’on vous le dise ; puis, je me souviens de vous avoir rendu votre revanche quand ce contraire m’impatientait ; et je me demande : où en est-il maintenant ? La teinte s’est-elle renforcée ou adoucie ? Je suis pour la dernière partie de l’alternative, lorsque je me représente les effets de l’étude, de la méditation, des affections heureuses ; je suis pour la première, quand j’apprécie l’influence du monde, la connaissance des sots, le sentiment de l’injustice, la haine du préjugé et de la tyrannie. Ainsi je flotterai dans cette incertitude jusqu’à ce que vous m’en ayez tirée. Mais, afin que vous n’en ayez pas sur mon compte, je vais vous donner mon baromètre calculé sur les lieux que j’habite. À la campagne, je pardonne tout : lorsque vous me saurez là, il vous sera

  1. Bosc, IV, 119 ; Dauban, II, 561.