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nette. Les enfants de Julie étaient heureux et paisibles sous ses yeux, mais ils n’étaient assujettis à rien, et tenus à cela seul de laisser aux autres la liberté dont on les faisait jouir. Nous voulons aussi qu’on nous laisse eu paix, cela est juste ; mais, comme nous donnons par moments de la contrainte, l’enfant s’en dédommage comme il peut. D’ailleurs, il ne faut pas nous le dissimuler, notre petite est forte et d’une volonté décidée ; mais elle n’a point de sensibilité, et aucun goût heureux ne s’est encore développé chez elle ; il faut bien que ce soit en partie notre faute, et que nous n’ayons pas su lui en inspirer. Il y a plus, c’est que nous risquons toujours de nous égarer davantage en voulant dompter par la force ou la crainte ce que nous avons cru ne pouvoir gagner autrement ; car, en nous aigrissant réciproquement, nous serons malheureux et notre enfant contractera une dureté, une contrariété insupportables.

J’ai donc résolu :

1° De ne jamais me fâcher, et d’être toujours égale et froide comme l’équité, dès qu’il s’agira d’une correction quelconque ;

2° De ne jamais employer ni fouet, ni tapes, ni mouvement, ni ton qui décèle l’impatience. Les coups, quels qu’ils soient, me semblent odieux, faits pour endurcir, avilir et fermer pour jamais toute issue au sentiment. C’est encore sur quoi nous avons quelques mea culpa à nous donner ; dans le premier âge, lorsque l’enfant portait la main sur quelque chose qu’il ne devait pas toucher et qu’il ne la retirait pas au premier mot, il nous semblait qu’un petit coup sur cette main rebelle était du meilleur effet. Mais ce petit coup a amené le fouet, l’enfant est devenu taquin, et nous nous sommes désolés ; ce petit coup fut une grande erreur ; il est temps d’en revenir, et nous n’avons plus un moment à perdre pour cela ;

3° Il faut faire en sorte que l’enfant se plaise avec nous plus qu’avec qui que ce soit ; il s’agit donc de rendre son sort plus doux en notre présence qu’il ne saurait être autrement. Ceci ne serait peut-être pas fort difficile dans un gynécée où la mère, travaillant à des ouvrages de main, veillerait doucement sur l’enfant charmé d’être sous ses yeux.